De Tétouan à Paris : l'immobilier en miroir
À partir d’un tableau de Paul Ygartua, regard croisé sur les pratiques immobilières au Maroc et en France
Il y a des tableaux qui racontent une ville, et d’autres qui la réinventent. Tetouan, toile signée Paul Ygartua, appartient à cette deuxième catégorie. Inspirée par la ville marocaine du même nom, elle déploie sur la toile un entrelacs de couleurs vives et de formes géométriques, à la frontière de l’abstrait et du figuratif. On y devine des minarets, des arcades, des toits plats, et toute la vivacité des médinas blanches qui tremblent sous la lumière du Sud. Le Maroc, vu par Ygartua, est une vibration. Une émotion architecturale. Et c’est précisément ce qui rend cette œuvre si pertinente pour parler d’un autre sujet : l’immobilier au Maroc.
Car derrière les couleurs, les formes, les perspectives, il y a une question qui revient souvent pour les Français séduits par les riads, les villas blanches ou les terrains d’Essaouira : Acheter au Maroc, est-ce comme acheter en France ? Spoiler alert : non. Mais c’est justement cette différence qui mérite d’être explorée. En partant du tableau, regardons le décor… et les règles du jeu.
Le Maroc, un marché immobilier à la fois familier et très différent
Des maisons blanches, mais pas les mêmes fondationsAu premier coup d’œil, certaines villes marocaines peuvent rappeler Le Vésinet : végétation luxuriante, villas cossues, atmosphère tranquille. Mais à bien y regarder, les structures sociales, juridiques et économiques sont très différentes. Ce que l’on appelle “acheter un bien” n’a ni la même valeur, ni la même temporalité, ni la même simplicité que dans l’Hexagone.
Tout d’abord, la notion de titre de propriété est moins uniforme. Au Maroc, il existe encore de nombreux biens non titrés, notamment dans les médinas ou les villages périphériques. Ce qui signifie qu’un terrain ou une maison peut appartenir à une famille depuis plusieurs générations sans qu’un document officiel ne l’atteste clairement. Une source potentielle de conflit, bien sûr — et une surprise de taille pour l’acquéreur européen habitué aux joies du cadastre numérisé.
Il faut donc souvent faire “immatriculer” le bien avant d’envisager une vente. Cela peut prendre des mois, voire des années, et fait partie des raisons pour lesquelles certaines transactions s’enlisent. Un tableau comme Tetouan, avec ses perspectives légèrement disloquées, rend peut-être mieux compte de cette complexité que n’importe quel plan cadastral.
Et pourtant, cette complexité peut séduire. Car dans le flou, il y a aussi de la souplesse. Des histoires humaines. Des relations. Des projets sur mesure.
Le rôle du notaire : une partition à trois mainsEn France, tout passe par le notaire. Au Maroc, c’est plus nuancé : il peut exister jusqu’à trois intervenants distincts :
- Le notaire marocain, souvent francophone, dont le rôle se rapproche du nôtre, mais avec des compétences parfois plus limitées.
- Le “Adoul”, officier religieux habilité à enregistrer certaines transactions, notamment dans le cas des successions ou des ventes entre Marocains musulmans.
- Le conseil juridique privé, parfois avocat, parfois “mandataire”, qui accompagne les démarches… avec plus ou moins de rigueur.
Résultat : il faut souvent composer avec un trio administratif, où chacun a sa partition. Exemple classique : un couple français achète un riad à Fès. Le bien est dans une médina, non titré. Le vendeur propose de passer devant un Adoul. L’acquéreur, lui, souhaite un acte authentique notarié avec traduction française. Il faut alors réunir les deux parties, parfois dans des villes différentes, faire traduire l’acte par un interprète assermenté, puis attendre plusieurs semaines la publication au cadastre. Le tout dans une ambiance souvent détendue… mais pas toujours rapide.
Là où une agence immobilière du Vésinet vous guide avec rigueur entre compromis, acte authentique et délais de rétractation, le Maroc vous invite plutôt à danser un tango administratif sur carrelage andalou.
Riad, villa ou terrain nu : des envies françaises, des réalités locales
Acheter un rêve… avec une servitude d’accèsLe tableau Tetouan évoque ces ruelles étroites et entrelacées où chaque maison semble prolonger la précédente. Ce n’est pas un effet de style. Dans les médinas marocaines, il n’est pas rare que le seul accès à votre riad passe… par la cour du voisin. Ou par une impasse sans titre.
Là encore, les repères français vacillent. Pas de “règlement de copropriété”, ni de syndic, mais des accords tacites, des habitudes, des arrangements entre voisins. Cela peut être charmant — si vous aimez la poésie des rapports humains — ou cauchemardesque — si vous préférez les paragraphes du Code civil.
À noter que dans les quartiers résidentiels récents (à Casablanca, Rabat, Marrakech ou Tanger), les biens sont beaucoup plus standardisés. Villas avec titres, parkings, piscines, portails sécurisés, tout y est. On retrouve presque le confort du Vésinet, version palmiers.
Un intérêt croissant pour le neuf et les résidences touristiquesFace à ces complexités, de nombreux acquéreurs français se tournent aujourd’hui vers des résidences neuves : appartements en bord de mer, villas dans des lotissements sécurisés, voire programmes mixtes hôtelier/résidentiel. Ces projets offrent un cadre juridique plus clair, des garanties de construction, et souvent des revenus locatifs intéressants dans le cadre de la location saisonnière.
Des villes comme Agadir, Saïdia, El Jadida ou Dakhla connaissent un véritable boom du tourisme balnéaire. Certains promoteurs proposent des solutions “clé en main” pour les investisseurs étrangers, avec gestion locative comprise. C’est une façon d’acheter du Maroc sans en affronter tous les méandres.
Mais à l’opposé, d’autres rêvent encore du riad à restaurer, de l’authenticité d’une médina, du carrelage artisanal et des portes cloutées. Pour eux, l’acquisition est aussi un geste culturel, un projet de vie, une immersion. Ils cherchent l’émotion, le charme, le dépaysement. Tetouan, dans son éclat brut et coloré, leur donne raison.
Ce que Tetouan révèle : une culture du lieu, du temps, et du lien
Le temps long comme matériau de constructionEn observant Tetouan, on est frappé par l’aspect intemporel de la ville représentée. Rien ne presse. Tout semble exister depuis toujours. C’est l’un des marqueurs profonds de l’immobilier marocain : le temps long. Les biens passent rarement d’un propriétaire à un autre en quelques semaines. Il n’y a pas d’obsession pour “vendre vite”. On discute, on tergiverse, on revient l’année suivante.
Un agent immobilier du Vésinet, habitué à un marché fluide et compétitif, serait sans doute troublé. Mais ce ralentissement peut aussi être une richesse : il laisse place à la négociation sincère, à l’ajustement humain, à la transmission intergénérationnelle, plus qu’à la simple valorisation du mètre carré.
L’acte de vente comme rituelAu Maroc, signer une vente, c’est plus qu’un acte juridique : c’est souvent un rituel. On partage un thé, on remercie les ancêtres, on appelle le cousin pour confirmer que l’on vend bien “avec le cœur léger”. Ce n’est pas une caricature. C’est une autre façon de concevoir le rapport à la terre et au bâti.
En France, la rationalité juridique prévaut. Et c’est tant mieux pour la sécurité des transactions. Mais il serait dommage de ne pas reconnaître la beauté d’un acte de vente vécu comme un passage, un moment de transmission, à l’image des traditions orales qui traversent les villages de l’Atlas.
Vendre un riad ou un manoir : un même métier, des contextes opposés
Le métier d’agent immobilier, version orientaleLe Maroc n’a pas, à proprement parler, de “carte professionnelle” d’agent immobilier. La profession est moins réglementée que chez nous. Cela signifie qu’on peut y trouver le meilleur — et le pire. Un bon intermédiaire local est un passeur de culture, un interprète des lois, un arrangeur de généalogies floues.
Chez Les Cercles, agence immobilière installée au Vésinet, on a parfois l’impression de jouer à l’équilibriste : concilier efficacité, rigueur, esthétique, accompagnement personnalisé. C’est déjà beaucoup. Mais au Maroc, il faudrait y ajouter le flair du souk, la diplomatie des couscous du vendredi, et une grande patience. Le même métier ? Oui. Mais sous une lumière différente.
Peut-on transposer un savoir-faire ?À première vue, le marché marocain semble un monde à part. Mais en creusant, on retrouve les fondamentaux : l’écoute, la confiance, la capacité à lire les murs, à anticiper les attentes, à rassurer les vendeurs. Ce qui change, c’est le cadre administratif et culturel, pas le cœur du métier.
Il est donc tout à fait possible, pour un acquéreur français, de réussir une acquisition au Maroc, à condition d’être bien entouré, informé, et prêt à sortir du confort administratif hexagonal. Le Vésinet ne deviendra pas Marrakech, mais les ponts existent — surtout si l’on confie le projet à ceux qui aiment autant les murs que les histoires qu’ils racontent.
Conclusion : entre abstraction et réalité, le Maroc inspire, mais ne s’improvise pas
Le tableau Tetouan, avec ses courbes, ses couleurs franches, et son mystère organisé, résume peut-être mieux que des dizaines de guides ce qu’est l’immobilier au Maroc : un monde où l’esthétique et l’affectif comptent autant que le juridique. Où l’on achète autant un lieu qu’un rythme de vie. Où la vente d’un bien est un passage, pas une simple opération.
Et si l’on devait en tirer une leçon pour nous, ici, au Vésinet ? Peut-être celle-ci : il est bon, parfois, de regarder l’immobilier autrement. Non pas comme une suite d’étapes contractuelles, mais comme un moment de culture, de rêve, et d’ancrage.
Car après tout, vendre une maison, qu’elle soit en médina ou en banlieue chic, c’est toujours un peu la même chose : une histoire qui se ferme, une autre qui commence, et quelqu’un — agent immobilier, notaire ou adoul — pour écrire la transition.